ENTITÉS. 715 000 000 001 - ♇
HAPPENING
Cette œuvre s’appuie sur un protocole de création journalier que je définis comme un programme de vie. Cet engagement artistique qui était en phase d’expérimentation depuis le 12 septembre 2018 a commencé en date du 15 août 2019, lors de cet happening, le jour de mon 38e anniversaire. Cette œuvre programmatique se clôturera à la fin de ma vie et ce sera donc ma propre mort qui viendra mettra un terme à cette création.
Chaque jour, je crée 4 dessins que je définis comme des Entités. Ces Entités ressemblent à de petits personnages qui peuvent évoquer de façon non figurative une multiplicité d'êtres, vivants ou non vivants. Dès que chaque Entité est dessinée, je lui attribue un numéro. La première Entité a été identifiée comme l’entité 1 et la dernière sera identifiée comme l’entité 91 728 si je vis jusqu’à 101 ans, année présumée de ma mort pour cette œuvre. Je note ensuite dans un registre (le registre des Entités cosmiques) l’heure à laquelle elle a été terminée. Ce registre qui est consultable lors des expositions évoque le registre de l’état civil. Ces 4 Entités, une fois finies, sont ensuite rangées dans une boite en bois qui contient les 28 Entités que j’ai dessinées pendant une semaine.
Les boites dans lesquelles sont rangées les Entités sont également identifiées grâce à un numéro. Ce numéro correspond à la semaine cosmique dans laquelle je me situe temporellement quand je crée ces dessins. Par conséquent, comme la date de l’univers est estimée à 13,77 milliards d’années par la NASA, j’ai décidé que le nombre de semaines écoulées depuis le Big Bang serait de 715 000 000 001 et qu'il correspondrait au numéro de la première boite créée. Chacune de ces Entités est depuis identifiée par le nombre de la semaine cosmique (715 000 000 001), mais également par le nombre correspondant au jour de cette semaine (J-1,2,3,4,5,6 ou 7) et l’heure de sa création. Exemple : Entité 1- 715 000 000 0001 – J1 – 21H45.
Les 52 boites qui sont créées par année sont également rangées dans une boite qui est identifiée au numéro de l’année cosmique correspondante. L’année cosmique du commencement de cette œuvre est identifiée par la dénomination « année cosmique 13 770 000 001 » puisque l’âge de l’univers est estimé à 13,77 milliards d’années. L’année présumée de la fin de cette œuvre est estimée à « 13 770 000 063 », date à laquelle je pourrais atteindre mes 101 ans. .
L’impulsion de ce protocole de création s'est appuyé sur deux impératif. Le premier était celui de me donner un objectif pour créer quotidiennement, même si je suis pas représentée par des galeries ou que je ne suis pas sollicitée pour exposer. Le deuxième est quant à lui né de l’ambition de dessiner le nombre d’êtres humains qui vivent sur la terre. L’envie première était d’éprouver ce nombre physiquement et de l’embraser ultimement par le regard. Je me suis donc posé la question de savoir combien de dessins je devrais dessiner par jour si je voulais visualiser, en 63 années, le nombre d’êtres humains qui était estimé à l'époque à 7 724 711 700. J’ai calculé qu’il faudrait que je dessine 122 614 471 dessins par an, 2 357 970 dessins par semaine, 336 853 dessins par jour, 14 036 dessins par heures, 234 dessins par minutes et donc 4 dessins par seconde à l’échelle d’une vie pour visualiser la population humaine, en ne considérant pas l’inflation de la population. Il m’est ainsi apparu rapidement que cette tâche était irréalisable. J’ai donc décidé de me résigner à dessiner 4 dessins par jour à défaut de 4 dessins par secondes, ce qui me donna 28 dessins par semaine et un total de 91 728 Entités en envisageant ma mort à 101 ans. La symbolique du chiffre 28 me semble pertinente, car elle renvoie au cycle menstruel de la femme (biologie), au pas de la lune en astrologie (28 jours pour transiter les 12 signes astrologiques) et à l’orbite de la lune autour de la terre (astronomie), ce qui permet de me situer sur une échelle idéelle cosmique et de passer des registre de l’infiniment petit à l’infiniment grand.
En expérimentant ce protocole pendant 8 mois, j’ai cependant constaté que mes dessins évoqués une multiplicité d’êtres qui ont leurs modes de vie propres : animaux, végétaux, organismes cellulaires, planètes, objets célestes..., et non juste les êtres humains. Dans le processus même de cette création-réflexion, une forme de dé-anthropocentrisme s’est ainsi opérée naturellement, puisque je suis passée d’une envie de visualiser la totalité des êtres humains, à une visualisation des êtres dans leurs diversités, pour ne plus considérer l’espèce humaine au centre de cette œuvre. Je décidais donc, dès cet instant, d’identifier ces dessins comme des Entités et non comme des êtres humains ou des personnages.
Dans la lignée de l’artiste Roman Opalka, ce protocole me permet d’autre part de visualiser et d’éprouver ma « relation au temps », « le temps » qui s’écoule et ma propre « finitude » (concepts repris à Heidegger). Cependant, je ne visualise pas le temps qui s’écoule comme une suite de chiffres qui commence à partir du nombre un et qui se succèderait indéfiniment jusqu’à ma mort, mais je visualise le temps à partir des semaines cosmiques dans lesquelles je me situe lorsque ces dessins sont générés. Je visualise d'autre par, outre le temps, les Entités qui prennent place dans l'univers en y naissant, en y vivant ou en y mourant chaque jour. Ce protocole me permet donc non seulement de dessiner, mais également de réfléchir en acte à des concepts et des idées philosophiques.
BANDE-SON DIFFUSÉE LORS DE CET HAPPENING: SOUNDS OF SATURN AND SATURN RINGS - NASA VOYAGER RECORDING
Happening réalisé au Département de danse de l'UQAM le 15 août 2019